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À l’occasion de la journée mondiale contre la maladie d’Alzheimer le 21 septembre, Ronald Melki, spécialiste des maladies neurodégénératives revient sur l’origine commune de ces pathologies.

Sciences et Avenir : On a récemment découvert que des protéines infectieuses étaient à l’origine de maladies neurodégénératives comme celles de Parkinson ou d’Alzheimer. Est-ce le cas dans toutes les démences ?

Ronald Melki : Absolument. L’agrégation de protéines dans les neurones du cerveau entraîne leur déconnexion, puis leur mort, phénomène commun à toutes les maladies neurodégénératives. Ainsi, l’agrégation de la protéine tau donne des "tauopathies", comme les maladies d’Alzheimer ou de Pick ; celle de l’alpha-synucléine est responsable des synucléopathies parmi lesquelles la maladie de Parkinson ou la démence à corps de Lewy ; celle de la huntingtine est impliquée dans la maladie de Huntington. Selon les protéines agrégées, l’une ou l’autre de ces pathologies va se déclencher. 

Si ces protéines sont infectieuses, faut-il s’inquiéter d’une transmission lors de transfusions sanguines notamment ?

Ces agrégats de protéines sont effectivement infectieux. Mais ils se propagent d’une cellule à l’autre : on ne risque donc rien à serrer la main d’un malade ou à l’embrasser. En revanche, il pourrait y avoir un risque lors d’une transfusion du sang ou d’un don d’organe. Les protéines agrégées peuvent circuler chez des individus en période d’incubation, ces derniers propageant la maladie à leur insu. Il existe bien une procédure d’inactivation des protéines dans les échantillons, utilisée en laboratoire et que nous avons publiée. Mais elle est inapplicable pour le sang car trop invasive ou destructrice.

Avez-vous alerté les autorités sanitaires, de sorte que la sécurité soit améliorée ?

Nous avons des discussions informelles avec nos directions. Aujourd’hui, les échantillons de sang jugés dangereux sont écartés grâce à plusieurs filtres (questionnaires, sérologies, etc.). Il faudrait faire de même pour les donneurs présentant les premiers stades de démence. Il faudrait, de plus, instaurer un test sanguin — comme cela se fait pour le VIH — permettant d’assurer que les dons sont sans risque en détectant la présence de biomarqueurs. Un tel test n’est pas encore au point. 

Une récente étude menée sur 1,2 million de patients transfusés pendant vingt ans conclut à l’absence de transmission de démence...

Cette étude suédoise est importante mais ne garantit pas une absence totale de risque. Risques qu’il faut cependant relativiser. Le recours à une transfusion sanguine est lié à une situation grave. En outre, les maladies neurodégénératives, associées au vieillissement, évoluent très lentement. Donc, même si quelques cas de démence apparaissent au bout de dizaines d’années, le patient aura, grâce à la transfusion, survécu longtemps avant d’éventuellement développer une pathologie. Le risque que l’on prend avec une transfusion est donc sans commune mesure avec son bénéfice.

Pourquoi ces protéines infectieuses s’agrègent-elles de la sorte ?

Une fois synthétisées, les protéines oscillent entre plusieurs configurations en 3D, certaines fonctionnelles, d’autres non. Des protéines "chaperons" les aident alors à trouver leur bonne conformation. Lorsque celles-ci ne font pas correctement leur travail, des fractions de protéine sont mal repliées, non opérationnelles ; elles ont tendance à s’empiler les unes sur les autres.

Pourquoi les protéines "chaperons" ne fonctionnent-elles pas correctement ?

Quand une protéine est mal conformée, les "chaperons" la séquestrent et lui donnent une deuxième chance de se replier correctement. Mais elles sont vite débordées si trop de protéines sont défecteueuses ! Résultat : de plus en plus de protéines se replient mal et s’agrègent et, comme les agrégats lient aussi les "chaperons", ces dernières deviennent de moins en moins disponibles au fil du temps. La maladie se développe.

Comment avez-vous découvert que certaines protéines étaient infectieuses ?

Auparavant, nous pensions qu’il existait une seule protéine infectieuse, le prion (PrP), à l’origine de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de l’encéphalopathie spongiforme bovine ("maladie de la vache folle"). Un prion est une protéine qui s’agrège, se propage et s’amplifie. Or, des traitements expérimentaux ont mis en évidence un phénomène tout à fait inattendu: des neurones embryonnaires avaient été gre. és dans le cerveau de patients atteints de maladie de Parkinson, dans le but de compenser la perte de neurones dopaminergiques caractéristique de cette affection. Lorsque ces cerveaux ont été examinés au décès des patients en 2008, plus d’une décennie plus tard, nous avons constaté que les greffons étaient à leur tour envahis par des agrégats de protéines alpha-synucléine impliquées dans Parkinson.

Or, en théorie, les protéines ne se "propagent pas" ! D’où notre intuition : ces agrégats seraient-ils infectieux comme la PrP ? Notre laboratoire, en collaboration avec l’université de Stanford (États-Unis) et de Lund (Suède), a par la suite montré, chez la souris et en culture cellulaire, que ces agrégats d’alpha-synucléine et de huntingtine avaient bien la propriété de passer de cellule à cellule et de s’amplifier ! Depuis, d’autres chercheurs l’ont montré pour la protéine tau (Alzheimer).

Comment combattre ces protéines infectieuses ?

Si les agrégats passent d’une cellule à l’autre, nous pouvons espérer qu’ils sont par moments "à découvert" et deviennent une cible thérapeutique. Ralentir leur propagation et leur amplification reviendrait à ralentir la progression de la pathologie. Nous avons aussi l’espoir d’agir avant que les symptômes ne se déclarent, en repérant dans le sang ou le liquide céphalorachidien la signature d’une forme de protéine pathologique grâce à des biomarqueurs. Nous travaillons à les synthétiser. Ils pourraient aussi être utilisés pour neutraliser les agrégats dans le cerveau. Un outil deux en un.

Article issu du mensuel Sciences et Avenir n°835 (septembre 2016)